Cet article est une archive publiée à l'origine sur Medium, le
15.1.2018
Il est présenté ici à titre historique et peut ne pas refléter les dernières informations disponibles ou les pratiques actuelles.
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5 trucs qu’on a appris en créant de nouveaux formats d’infographie pour Contexte

Depuis mars 2016, je passe une partie de ma semaine au sein de la rédaction de Contexte, où je prépare notamment des infographies interactives – pour faire moderne, vous pouvez utiliser le terme anglais data visualization ; pour faire court, vous pouvez parler de « dataviz ».

C’est l’une des spécialités de mon entreprise, Dans mon labo : aider les médias à trouver le format éditorial idéal pour leurs contenus en ligne.

En vingt mois, le site a ainsi publié une grosse quarantaine de ces contenus d’un nouveau genre, qui offrent aux abonnés des présentations plus efficaces qu’un simple texte pour transmettre des informations denses ou complexes.

Je me suis occupé de leur conception et de leur réalisation, en partant d’une idée ou d’une envie d’un journaliste de l’équipe. À charge pour lui, ensuite, de trouver, de rassembler et de structurer les données à afficher – ça implique souvent de longues heures passées à remplir des cases sans déborder, ce dont je tenais à les remercier publiquement.

Très vite, ces productions ont été remarquées et appréciées des utilisateurs, un succès qui nous a encouragés à les multiplier, en cherchant chaque semaine de nouvelles formes. Je profite d’avoir un peu de recul pour rassembler dans cette note quelques leçons apprises grâce à cette expérience.

1. Le trombinoscope, c’est comme la “petite robe noire” : un classique indémodable

Capture d’écran du trombinoscope “Les poids lourds du nouveau Sénat”

Le catalogue des « 100 qui font Macron », la composition des cabinets ministériels, le profil des 577 députés français… : depuis son lancement, Contexte a publié une bonne quinzaine de contenus de type trombinoscope – le premier d’entre eux, publié en juillet 2014 et qui liste les 77 députés européens français, a longtemps attiré plus de 1 500 visiteurs par mois.

Les utilisateurs y trouvent de courtes biographies des acteurs-clé du débat public dans une liste qu’ils peuvent filtrer selon leurs propres critères de recherche. Les chiffres de fréquentation montrent que cette présentation simple et efficace est plébiscitée par les utilisateurs.

Pour en produire rapidement et tâcher de garder les informations à jour, tous ces textes sont désormais réunis dans une base unique, riche aujourd’hui de plus de 1 300 noms. Comme dans tous les titres qui investissent durablement dans le datajournalisme, la rédaction de Contexte est en effet confrontée au défi de la réutilisation des données.

Il est relativement facile de publier ponctuellement une datavisualisation ad hoc, qui contient des informations recueillies spécialement pour l’occasion. Mais s’organiser en interne pour récupérer en continu de la data pertinente, la nettoyer, la classer et la republier chaque jour, c’est une autre paire de bretelles.

2. Les journalistes doivent mettre leur grain de sel

Capture d’écran du comparateur de candidats publié par Contexte pendant la présidentielle

Prenez des données publiques facilement accessibles, par exemple des résultats électoraux, un article d’un texte de loi en cours d’examen ou le dernier discours d’Emmanuel Macron. Ouvrez la série obtenue dans un tableur, installez (confortablement) un rédacteur expert du sujet devant, et demandez-lui de rédiger un commentaire pour chacune des lignes du tableau – pour ne pas le décourager, vous n’êtes pas obligé de lui dire leur nombre exact.

Le résultat, qui combine de la data à l’état brut et une analyse éditoriale « fait maison », a de bonnes chances de séduire votre lecteur, parce que vous l’aurez aidé à comprendre le sens des données publiées, à s’en emparer sans qu’il ait à faire seul tout le travail d’interprétation.

C’est ce qui s’est passé avec le comparateur de candidats lancé par Contexte pendant la campagne présidentielle. Ce dernier ne se contente pas de lister les mesures figurant dans les programmes des cinq principaux candidats, mais il se permet aussi d’évaluer la crédibilité de chacune d’entre elles. « Réaliste », « difficile à appliquer », « trop vague » : la note choisie par les journalistes est expliquée dans un bref commentaire.

La démarche a fait grincer quelques molaires. Est-ce le rôle des journalistes de distribuer ainsi les bons et les mauvais points ? Les propositions les plus radicales ne risquent-elles pas d’être mal notées, simplement parce qu’elles sont plus difficiles à appliquer ? Je reste cependant convaincu de l’utilité de la démarche, quand elle se fonde sur des connaissances sérieuses sur les sujets abordés – Contexte a d’ailleurs choisi de ne pas faire cette évaluation des promesses des candidats dans des domaines en dehors de son champ éditorial (qui inclut l’Europe, les institutions, les territoires, le numérique, les transports et l’énergie).

3. Ce n’est pas parce que des données sont accessibles qu’elles sont utiles

Capture d’écran d’un flux XML sur le site de la HATVP.

Même si la France n’est pas le meilleur élève, parmi les démocraties occidentales, en matière d’open data, les jeux de données accessibles aux journalistes et citoyens se multiplient.

Depuis la rentrée, La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a commencé à publier, via une API, les déclarations d’intérêt et de patrimoine des élus. Si vous voulez connaître dans le détail tous les revenus de votre député durant les années qui ont précédé son mandat, c’est possible.

Sauf que tout le monde n’a pas les connaissances techniques pour ouvrir des séries de tableaux Excel, fouiller les méandres d’un flux XML ou ouvrir les entrailles d’un fichier JSON. Surtout – et ça reste incompréhensible pour moi qui adore faire ça –, beaucoup de lecteurs considèrent qu’ils ont mieux à faire de leurs journées.

C’est là qu’une interface efficace peut apporter un service précieux à des professionnels pressés. C’est vrai pour les infographies que nous créons au sein de la rédaction. Ça l’est aussi pour des services nouveaux, un constat qui a encouragé Contexte à développer un outil de suivi de l’activité parlementaire, aujourd’hui disponible en beta.

4. Il n’y a pas de mal à copier sur le voisin, au contraire

Captures d’écran d’une infographie du Washington Post et de sa copie sur Contexte.

Cet été, j’ai eu un coup de cœur pour un contenu publié par le Washington Post : la retranscription des échanges téléphoniques entre Donald Trump et les premiers ministres mexicain et australien, commentés par la rédaction. Elégante, la navigation permet de lire in extenso les passages les plus révélateurs et de faire défiler plus rapidement les autres points du texte.

On aurait pu se contenter de s’inspirer de cette présentation. On a choisi d’aller plus loin, et de la copier carrément — après tout, sur Internet, il n’y a pas de copyright sur les bonnes idées. Ça a donné deux contenus, l’un analysant le discours sur l’Etat de l’Union de Jean-Claude Juncker, l’autre le discours sur la relance de la construction européenne d’Emmanuel Macron.

Tous les jours apparaissent dans les médias en ligne du monde entier de nouvelles façons de présenter l’information. Bien souvent, elles peuvent être copiées, remixées, déclinées, combinées, « hackées »… Y compris quand elles viennent d’horizons bien différents : Contexte n’est pas Buzzfeed, ça ne l’empêche pas de publier un quiz et même des mots croisés.

5. “Les gens veulent scroller”… mais quand c’est important, ils veulent bien cliquer aussi

Infographie interne représentant les statistiques d’utilisation d’une infographie de Contexte

C’est une des leçons que les équipes du New York Times ont tirées de leur riche expérience en matière d’infographies interactives, et qu’ils ont eu l’occasion de raconter dans des conférences spécialisées : « People want to scroll. » Traduction : en règle générale, les internautes préfèrent explorer les contenus sans avoir à cliquer, juste en faisant défiler la page sur leur écran.

Par exemple, pour montrer les préférences régionales en matière de séries télévisées, le site a choisi d’empiler sur la même page une cinquantaine de cartes des Etats-Unis, plutôt que de proposer un menu permettant à l’utilisateur de les afficher une à une – il est risqué de « planquer » les contenus qu’on propose derrière un clic, un lecteur pressé pouvant de ne pas s’apercevoir de leur existence.

Si cette préférence pour le scroll se vérifie sur les sites d’information visant le grand public, je pense qu’elle est moins vraie pour les sites s’adressant à des professionnels comme Contexte. C’est ce qu’on découvre en s’intéressant aux chiffres de fréquentation du contenu le plus visité en 2017, la carte consacrée aux élections législatives.

Contrairement au parti-pris du New York Times, ce format multipliait les interactions possibles : l’utilisateur pouvait afficher une douzaine de cartes différentes, ou « zoomer » sur n’importe laquelle des 577 circonscriptions en jeu. Et pour chacune elles, il fallait encore cliquer pour afficher les résultats des scrutins précédents ou les informations sur le député actuel.

Mais fournir tant d’efforts n’a pas arrêté les courageux abonnés de Contexte, comme le montrent les données d’utilisation dans l’image ci-dessus.

Difficile cependant d’en tirer une leçon générale : sur d’autres infographies interactives que Contexte a publiées, le nombre de clics sur les filtres et menus disponibles est nettement inférieur.

Mon hypothèse, c’est que s’adressant à un lecteur expert, il peut être payant de privilégier la compacité des informations présentées à leur accessibilité immédiate : il mettra un peu plus de temps à accéder à l’information qui l’intéresse, mais une fois le fonctionnement compris, il appréciera de naviguer sans avoir à scroller longuement dans la page.