Cet ouvrage est intimement lié à mon travail de journaliste à Contexte. Basé à Bruxelles pour la rubrique Pouvoirs, j’ai en effet passé ces dernières années à suivre et à décrire l’activité des représentants d’intérêts à Bruxelles. J’ai ainsi développé une réelle curiosité pour le sujet, avec une envie de profiter de mes observations pour développer une réflexion plus aboutie et de faire un pas vers une approche plus théorique. Mais sans oublier l’ADN de mon métier : la recherche d’informations.

De 2020 à 2022, je suis donc allé à la rencontre d’une vingtaine d’interlocuteurs — dans la majorité des cas, des gens avec qui j’étais déjà en contact — pour leur poser une question simple : pourquoi les lobbys ont-ils autant de poids dans la bulle bruxelloise ? Le résultat est ce livre où je montre, exemples, témoignages et documents à l’appui, comment les lobbyistes sont devenus essentiels au fonctionnement de la machine législative bruxelloise grâce à l’expertise qu’ils apportent aux législateurs sur les secteurs économiques qu’ils représentent.

Cette expérience m’a fait réfléchir à ce qu’est le journalisme. Si nous sommes souvent décrits comme ne nous intéressant qu’à l’actualité brute, nous accumulons pourtant au fil du temps une réelle expertise sur nos sujets. Cela est particulièrement vrai à Contexte, où nous effectuons un travail très pointu — me fournissant ainsi une grande part des matériaux que j’ai utilisés pour le livre.

Mais ce travail met aussi en valeur le rapport particulier du journaliste spécialisé à ses sources. Suivant de près un sujet et parlant régulièrement à toutes les parties prenantes impliquées, il peut se bâtir un réseau et éviter de ne dépendre que d’un seul interlocuteur — ce qui nuirait à son objectivité et, dès lors, à son indépendance. Le traitement du lobbying, sujet polémique entre tous, nécessite en particulier de pouvoir parler à tous les intérêts (sphères économiques, politiques, ONG…), sans en privilégier aucun. C’est l’approche que Contexte a tenté de bâtir depuis son lancement, traitant du lobbying comme d’une réalité de la vie publique et des lobbys comme des acteurs du processus démocratique — ni plus ni moins.

Je termine en donnant la parole à Sylvain Laurens, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales et auteur des Courtiers du capitalisme. Voici un extrait de la postface qu’il a accepté de rédiger pour mon livre et qui traite du journalisme et des sciences sociales face au lobbying :

« Pour construire leur objet de recherche, les chercheurs en sciences sociales ont souvent coutume de mettre à distance la façon dont les médias couvrent ce même sujet. Leur recherche serait réputée “plus approfondie”, ne céderait pas à “l’actualité” et serait mieux documentée que celle des journalistes. […] Cette critique est en grande partie injuste ou incomplète. Certes, certains articles limitent de façon sensationnaliste le lobbying à la dénonciation des “scandales”, des “affaires” ou même relaient à leur corps défendant des opérations de lobbying. Mais ces éléments n’épuisent pas la complexité des rapports entre le journalisme (envisagé sous l’angle de toutes ses spécialités) et les sciences sociales, quand il est question du lobbying. […] Si un livre comme celui-ci peut exister, c’est qu’arrivé à ce point d’équilibre, le travail journalistique retrouve des propriétés qui sont celles pour partie du travail intellectuel en sciences sociales : stabilité d’une position d’observation, maîtrise du jargon d’un univers social particulier, ancienneté dans un milieu, temps libéré pour lire de façon spécialisée sur un sujet donné, possibilité de jouer une source en contraste d’une autre et d’approfondir un même sujet sur plusieurs mois. »

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